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Une maison d’artiste unique à découvrir

Les maisons d’artiste sont des sources incomparables d’information. Non seulement, elles fournissent des éclairages sur les processus matériels de création des œuvres, mais elles permettent d’avoir une idée de la conscience de soi et de la prétention sociale d’une personnalité artistique au cœur de son époque. Il n’existe toutefois que très peu d’ateliers de grands artistes dans le monde qui soient conservés dans leur quasi-état d’origine ; en Suisse, à part celui d’Albert Anker, il y a surtout celui de son contemporain Vincenzo Vela (1820-1891), sculpteur du Risorgimento, sis à Ligornetto. La maison de Vela fut transmise par son fils Spartaco à la Confédération qui l’exploite depuis lors comme musée. Le Museo Vela est considéré dans le monde comme l’une des plus importantes maisons d’artiste. À la différence du Museo Vela ou encore de la Villa Stuck de Munich, où Franz von Stuck vécut et travailla, la Maison Albert Anker est une véritable capsule temporelle, car c’est la seule où le temps semble s’être définitivement arrêté.

« J’ai vraiment beaucoup de ces têtes sur la conscience. Quand je passe en revue mes anciens calques, il me semble qu’il en existe bien cent cinquante différentes. J’ai épuisé pour ce faire l’histoire, le théâtre et l’Olympe.  »
Albert Anker, 1886, sur ses créations pour la faïencerie des frères Deck

L’atelier est un formidable cabinet de curiosités dans lequel les objets réels des peintures d’Anker viennent à notre rencontre : jouets, cartes géographiques, pipes à tabac, outils, trouvailles lacustres, moulages en plâtre de statues antiques… Tout ce dont Anker avait besoin pour peindre et dessiner y est aussi intégralement conservé : son chevalet, ses palettes, ses pinceaux, ses tubes de peinture, ses boîtes de couleurs… Et puis s’y trouvent également de nombreux dessins, aquarelles et études à l’huile que l’artiste réalisait sur site pour préparer ses compositions picturales.

Témoignage d’un ancien modèle

« … C’est alors que les portes d’une expérience bienheureuse s’ouvrent à la fillette, enfin, pas de quoi bouleverser le monde. Dans un premier temps, elle est tranquillement assise sur une petite chaise et elle commence à tricoter. Puis elle abandonne un moment son travail et regarde avec étonnement le nouvel environnement dans lequel elle se trouve : la grande et belle peinture au-dessus de la porte – la lisière d’une forêt au printemps, avec, au premier plan, un rouge-gorge dont on ne sait pas s’il ne va pas subitement s’envoler –, l’oiseau empaillé qui pend du plafond au bout d’une longue corde – au mur, la main blanche, la jambe, le bras et la tête dont on ne s’explique pas bien l’origine et qui paraissent donc un peu effrayants aux yeux de l’enfant – la petite table du peintre avec ses pinceaux et des coupelles de toutes dimensions, et beaucoup, beaucoup de couleurs, et puis le peintre lui-même qui vous regarde d’un œil scrutateur du fond de ses pupilles enfoncées, mais pas du tout pour vous intimider, oh non, le regard est si bon qu’il inspire immédiatement une grande confiance et que l’on se sent à l’aise dans cet environnement inconnu. Il sait bien, lui, l’homme de 73 ans, bavarder avec la fillette de quatre ans. On parle des menus dans les deux familles et l’enfant s’étonne d’entendre que, pas plus tard qu’aujourd’hui, monsieur Anker n’était pas du tout content de la cuisinière parce qu’elle a cuisiné quelque chose qu’il n’aime vraiment pas. Alors elle a, elle aussi, le droit de raconter qu’elle n’aime pas non plus certaines choses, les tripes, par exemple, qui sont si visqueuses et spongieuses, et pas du tout bonnes, les navets qui sont si amers, et qu’à la maison, on est quand même obligé de prendre de tout ce qui arrive sur la table. Il paraît avoir de la compréhension pour tout, également pour le fait que sa maman ne dépose toujours dans son assiette qu’une petite portion de ces choses qu’elle n’aime pas. “C’est que tu as une Maman bonne et gentille, tu dois toujours lui faire plaisir, n’est-ce pas ?” …  »

Conférence de Martha Kellerhals-Stucki « Glückliche Tage mit Maler Albert Anker » [Jours heureux avec le peintre Albert Anker] prononcée lors de l’inauguration de l’exposition Anker de 1967 à Anet

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